ARTISTES, TOUT SENSIBLEMENT
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Aujourd’hui, les recherches sur la synesthésie ont évolué. Cependant, l’origine de cette dernière reste inconnue, notamment car la majorité des personnes concernées ignorent leur synesthésie et ne participent pas aux études. “Leurs associations sont naturelles. Ils pensent que tout le monde voit, perçoit ou entend comme eux. Seuls les synesthètes qui sont dérangés par leurs perceptions le signalent”, explique Christophe Rodo, vulgarisateur neuroscientifique. Les chercheurs et médecins s’accordent tout de même sur deux théories.
Quand les personnes grandissent, au cours de leur enfance voire de leur adolescence, des connexions se créent entre plusieurs zones du cerveau puis s’élaguent avec le temps. Ce phénomène s’appelle l’apoptose ou mort cellulaire programmée. Chez les synesthètes, ce dernier n'aurait pas lieu. “Les connexions ne vont pas suffisamment s’élaguer et donc celles qui sont censées être là seulement pendant l’enfance vont persister. Elles vont être responsables de l’activation de plusieurs zones du cerveau à la fois alors qu’une seule devrait être activée”, précise Fabien Hauw, étudiant en thèse de sciences à l’Institut du cerveau. Prenons l’exemple d’un synesthète graphème-couleur : les régions impliquées dans la reconnaissance visuelle des séquences écrites vont s’activer en même temps que celles impliquées dans le traitement des couleurs. Seule l’utilisation de l'imagerie médicale pourrait permettre de confirmer cette théorie.
Les premiers témoignages évoquant le phénomène de synesthésie ont un point commun : les personnes concernées sont toutes des artistes ou du moins, elles présentent un intérêt très fort pour l’art. Malgré l’absence de preuves scientifiques, les neurologues et chercheurs ont rapidement fait le rapprochement. En 1725, le Père Louis Bertrand Castel imagine un clavecin oculaire, un instrument à touches qui permettrait d’actionner des notes de musique et d’afficher simultanément des couleurs correspondantes. À cette époque, le phénomène de synesthésie est peu connu et passé sous silence.
Les cerveaux des synesthètes et des non-synesthètes seraient structurellement similaires mais différeraient d’un point de vue fonctionnel. “Des connexions entre les différentes aires qui ne sont normalement pas utiles s’activeraient chez les synesthètes. C’est un problème d’inhibition”, explique Emilie Caspar, professeure en neurosciences cognitives et sociales. L’inhibition est la diminution de l’activité d’une cellule sous l’effet de la modification d’autres. Chez les synesthètes, une cellule ne diminuerait pas son activité lorsqu’une autre prend le relais mais s’imbriquerait avec, ce qui provoquerait des associations, et donc des synesthésies. L’arrivée d’une forme de synesthésie temporaire par la prise de drogues confirmerait cette théorie.
Quoi qu’il en soit, ces deux théories pourraient être reliées : “Des différences structurelles du cerveau peuvent amener vers des différences fonctionnelles. Aucune théorie n’est plus probable que l’autre”, développe Emilie Caspar. De plus, même si la majorité des synesthésies sont développementales, c’est-à-dire qu’elles apparaissent au plus jeune âge et peuvent être associées à un gène, d’autres synesthésies peuvent être intermittentes et acquises à la suite d’un traumatisme cérébral ou de certaines pathologies comme la maladie de Parkinson. Enfin, il existerait un lien entre l’autisme et la synesthésie, mais les recherches ne sont pas assez nombreuses pour établir une véritable corrélation. "Les études sur ce sujet datent un peu et ne sont pas à jour sur ce qu’est véritablement un profil autistique”, développe Vincent Mignerot, essayiste.
Car du point de vue scientifique, il est improbable que la vue et l'ouïe s’activent de façon croisée. Mais au fil des siècles, la parole se libère. Si le compositeur finlandais Jean Sibelius cache sa faculté à voir les sons, de peur que l’on se moque de lui, d’autres grands noms de la musique, de la littérature et de la peinture revendiquent plusieurs formes de synesthésies. Ainsi, pour le peintre Vincent Van Gogh le son a des couleurs, pour l'écrivain Vladimir Nabokov les couleurs ont des odeurs, l'auteur-compositeur Stevie Wonder voit les sons alors qu’il est aveugle et la chanteuse Billie Eilish associe des formes à des personnes et les chansons à des températures.
Synesthésie, l'art des sens
Emmanuel, plus vite que la musique
Alice, fermer les yeux pour mieux entendre
Sylvia, joueuse de peinture
Tester sa synesthésie
Synesthésie
graphème-couleur : association et visualisation des lettres et/ou des chiffres à des couleurs.
