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Sur son vieil ordinateur, Emmanuel Taron a des milliers de musiques rangées dans différents dossiers.“Ne vous moquez pas, les vieilles bécanes ça fonctionnent mieux que celles d’aujourd’hui”, rigole l'homme originaire de Besançon. Certains fichiers lui servent à préparer ses sets de DJ, d’autres ses cours de musique pour des collégiens.
Ces mêmes sensations, le professeur essaie de les trouver chez ses collégiens en les testant. Le principe est de passer un morceau sans parole et leur demander ce qu’ils ressentent. Et tous les ans, bingo ! Au moins l'un d'entre eux évoque le fait de voir des couleurs. Une rencontre avec une élève l’a particulièrement marquée : “En plus de ses sensations musicales, elle voyait les lettres et numéros en formes et couleurs. Je me rappelle que pour elle par exemple, un lundi à 18h c’est un carré jaune.” Le quarantenaire précise qu’il insiste auprès de ses 17 classes pour expliquer que la synesthésie n’a rien d’anormal. Au contraire, c'est une vraie chance.
Cette fonction de professeur, c’est celle qui lui a permis de découvrir qu’il était synesthète : “Je farfouillais des idées sur internet pour constituer mes cours et je suis tombé sur des articles abordant la synesthésie. Mais pour moi, c’était évident que la musique ait des couleurs.” Sauf que non, ce n’est pas évident pour tout le monde. Emmanuel Taron fait partie des 1 à 4% de la population concernée par ce phénomène neurologique. Mais hors de question pour lui de changer son quotidien pour autant.“C’est une sensation, un goût. Par exemple, je ne sais pas pourquoi j’aime la fondue et je déteste la choucroute. Bah la synesthésie c’est pareil, c’est comme ça, point barre. Je ne peux pas le changer”, insiste-t-il.
L'avantage pour ce DJ de 46 ans, c’est de réussir à juger une musique en trois secondes : “Je capte tout de suite si la couleur me plaît, j’ai donc une capacité à écouter beaucoup de musique très vite.” Très utile pour un DJ et producteur de musique. Emmanuel Taron est d’ailleurs fasciné par ce monde depuis tout petit, “même si ce n’est pas du tout un centre d’intérêt dans [sa] famille”. Petit, il se cachait jusqu’à tard sous ses draps pour écouter la radio. Depuis toujours, les musiques lui évoquent des couleurs. Mais pas que, c’est aussi "du volume, des formes, du mouvement, tout un univers”, précise-t-il. Ses préférences ? Des sons avec un côté métallique, du grain, sans trop de lumière, ni couleur flashy. "Ça peut paraître débile de dire ça, mais j’aime quand les musiques ressemblent à une photo pixelisée prise avec un appareil de mauvaise qualité”, compare-t-il avec ironie.
Et le son qu’il déteste ? “One more Time de Daft Punk !” et son jaune éclatant, répond sans hésitation le quarantenaire. Plus globalement, ce sont les musiques qui lui évoquent des couleurs criardes, sans harmonie, “comme ci vous mettiez une tâche jaune sur La Joconde”. Mais ce n’est pas pour ça qu'Emmanuel Taron met ce type de musique de côté. Ça lui arrive de les intégrer dans ses sets, voire dans son émission Aequilon, qu’il anime sur Radio Campus Besançon toutes les semaines. “Je suis capable d’admettre qu’il existe de la bonne musique qui moi ne me touche pas, où je n’aime pas les couleurs et puis il en faut pour tout le monde !”, conclut-il avant de nous plonger dans son univers.